Court Bouillon 5

L’après-guerre

  • Juin 2021

La saison 3 est finie. Mieux, l’histoire elle-même est finie !

That’s all folks Régis le Crabos !

Je refuse de tourner dans une saison 4, la fameuse saison de trop, celle où Régis ressuscite grâce à un charme de la sorcière rouge, et où je dois l’attaquer avec des dragons.

Non merci. J’ignore totalement où trouver des dragons.

Il faut savoir arrêter une aventure avant qu’elle ne devienne lassante.

Chaque marche a été montée, il suffisait de ne pas se projeter très loin, de les prendre une par une, de ne pas penser trop vite à la suivante.

Je peux commencer à souffler.

Ma famille aussi. Ils m’ont entourée, en assumant tant bien que mal deux rôles contradictoires : être parfois solides comme un roc, parfois légers comme une plume, parfois les deux en même temps. « Légers comme un roc ».

Ne nous leurrons pas, même avec une famille parfaite et des amis merveilleux, nous sommes seules à monter nos marches, personne n’y peut rien.

J’ai l’impression d’avoir traversé un automne sans fin, exclusivement fait de lundis déprimants succédant à des dimanches soirs angoissants.

Pourtant, au bout de seulement quelques jours, tout commence déjà à s’effacer.

Je quitte les rives sombres d’un interminable lundimanche d’octembre, pour basculer vers l’été.

Dix petits mois dans une vie, c’est si peu en définitive.

Mes cheveux et mes sourcils repoussent, je ne mets plus de foulards, j’adopte le look vieille punk à cheveux gris.

Mes nouveaux cheveux sont magnifiques, mais ça ne dure que quelques mois, ils redeviennent très vite ce qu’ils étaient avant la guerre. C’est injuste, on devrait avoir une prime de beaux cheveux à vie après un cancer.

J’obtiens mon diplôme universitaire à la fin du mois de juin.

Nous sommes en fin de protocole de déconfinement, les terrasses ouvrent.

Sans être mégalo, on dirait que le monde était en sommeil en même temps que moi. Nous nous réveillons à l’unisson. C’est magique.

Il reste encore quelques étapes avant de refermer la dernière page de ce roman à l’eau d’épines de roses, je le sais bien.

Il y a des examens de contrôle, une mammographie tous les ans, une ostéodensitométrie, une autre scintigraphie du cœur, un autre scanner.

Le gynécologue, l’oncologue, et la radiothérapeute veulent me revoir tous les six mois, à tour de rôle. On va se faire des petites réunions d’anciens combattants.

Au temps pour moi qui espérais oublier au plus vite l’hôpital et ses salles d’attente … Mais ça viendra, patience.

Il faut encore prendre des comprimés pendant cinq ans. Il s’agit de bloquer la production d’œstrogène dont raffolent les cellules cancéreuses. Privées de dessert, les métastases.

L’hormonothérapie provoque parfois, mais rarement, des douleurs aux os. Sans surprise, je découvre assez vite que je fais partie du lot de ceux qui ont mal aux os, mais qui en doutait ?

J’ai mal à toutes les articulations, aux genoux, aux chevilles, aux épaules, aux doigts, aux coudes. Une bonne occasion de redécouvrir ses coudes, auxquels on pense rarement d’ordinaire.

Je découvre les bouffées de chaleur, je n’en avais jamais eu. Je peux désormais, hélas, participer aux conversations sur la ménopause en ne faisant pas semblant de compatir, youpi.

Je m’épaissis, aussi, malheureusement, là encore c’est une conséquence du traitement hormonal. Je suis une ancienne maigre. Passer de papillon longiligne à bourdon arthritique n’est pas chose aisée.

Les ongles repoussent mal, les chaussures fermées font mal.

Les dents s’y mettent à leur tour. Mon nouveau dentiste commence par m’en arracher trois.

Pour résumer, au-delà des effets secondaires directs, il est probable que les traitements massifs accélèrent l’aggravation des problèmes latents. Tout fout le camp, ma bonne dame.

Globalement, dans l’année qui suit l’arrêt de la radiothérapie, les maux s’accumulent. Le corps a besoin de temps pour se remettre de la guerre totale.

On ne redevient pas immédiatement une jeune fille en fleurs-même-pas-fanées. On reste un peu la mémé de service qui a mal partout, le temps que tout se répare.

Mais c’est si peu de choses, comparé à la guerre qui vient de se dérouler. Il suffit de s’en rappeler, quand on a trop envie de se plaindre.

Si tout va bien, les problèmes vont se réguler avec le temps. Mes petites cellules et mes vaillants organes vont se remettre d’aplomb.

Nous verrons. Patience. Marche après marche. Laissons déjà passer cette première année post apocalypse.

  • Septembre 2022

Une année est passée depuis la fin de la guerre. Je vais à mon troisième rendez-vous de contrôle semestriel. Cette fois, c’est avec Oncologue chéri, le Dr Ramzy.

Dans l’ascenseur, je suis en pleine confusion, je ne parviens pas à me souvenir de l’étage du service d’oncologie. Incroyable. C’est quand-même là où j’ai fait mes satanées séances de chimio, je pensais que chaque détail de cette expérience resterait gravé au fer rouge dans ma mémoire. Eh bien non, on oublie, et c’est tout à fait réconfortant.

Le rendez-vous est positif. Tout va bien, pas d’ennemi à l’horizon.

Docteur Ramzy m’annonce qu’il quitte la région bientôt, ce traître, la prochaine fois ce ne sera plus lui. Encore un qui prend une décision sans me demander mon avis, je proteste. Je vais vous suivre, je ne veux pas changer. Où allez-vous ? En Nouvelle Calédonie. Bien joué, je suis obsessionnelle mais pas au point de traverser le globe.

Il va falloir que je cesse de m’attacher à mes médecins.

Deux ans se sont écoulés depuis le début du bouillon de tourteau. Il est temps de passer à autre chose.

Les risques de rechute sont importants. Un taux de récidive de 20% sur les cancers hormonodépendants, je trouve le jeu beaucoup trop risqué, mais nous sommes dans une partie de Jumanji, on ne choisit pas d’y retourner, c’est le jeu qui vous choisit.

A certains moments, souvent incongrus, l’idée de la rechute me traverse. Je m’arrête quelques secondes – la stase de la métastase – le temps d’y penser, et de chasser cette idée inutile.

L’archange va devoir veiller, il faudra lui chatouiller les ailes de temps en temps pour qu’il ne dorme pas sur ses lauriers.

La vie sera désormais incertaine, menaçante, en un mot damoclétienne.

En réalité, elle l’était tout autant auparavant, la seule différence, c’est que je ne le savais pas. J’ai beaucoup progressé ces derniers mois. Je suis devenu le produit du croisement entre un paon déplumé et un robuste papillon des champs.

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  1. Voilà j’entame cette phase, là. Mon Gluon (oui c’était son petit nom) est partie. Mais je suis comme l’Allemagne d’après la seconde guerre. Reste plus un sous de vaillant là dedans. On me trouve combative, je me trouve épuisée, ronchon, et j’ai envie de tout péter. Quoi j’ai le droit. Bref on verra, pour l’instant le médoc à l’air de me laisser tranquille. Par contre la ménopause induite (oui la jeunesse c’est chiant des fois) ça commence par des règles, va comprendre Charles. Non mais je te jure, ce truc m’aura tout fait. Vivement que ça rendre dans l’ordre, ou que ça rentre en désordre. M’enfin zut quoi ^^

    1. Adieu Gluon ! T’inquiètes pas, ça va se remettre, il faut sûrement évacuer la colère maintenant que tu peux relâcher la tension, et oui tu as le droit. Bises Kahtewoman

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