Court bouillon 4

Je démarre la radiothérapie pleine d’entrain, ça s’annonce plus sympathique, une séance par jour, 33 séances, mais peu d’effets secondaires et pas de séquelles prévisibles, c’est un jeu d’enfants après la chimio.

La radiothérapeute précise quand même qu’il arrive que la peau se fissure et s’ouvre sous l’effet des rayons. Mais pas d’inquiétude, ça arrive rarement.

Laissez tomber, Docteur, ça arrivera, j’en suis sûre. Mais non. Mais si.

Elle prévient qu’à l’avenir, si j’ai des alertes au niveau du cœur, il faudra courir aux urgences cardiaques. Le cœur est un peu irradié, on ne sait jamais. Pas du tout angoissant, cette affaire.

La mise en place est fastidieuse.

La séance de tatouage des repères fait mal, puisque je rappelle que j’ai un seuil de tolérance à la douleur de – 2/10.

Je n’arrive pas à rester immobile lors de la séance suivante des prises de mesure, j’énerve tout le monde, on menace de me faire revenir à une session de rattrapage. Mais comment font les autres pour rester 20 minutes en position allongée les bras en l’air sans bouger ? Il faut avoir accédé à un niveau spirituel de bouddha couché, ce n’est pas donné à tout le monde. Je ne dois pas être la seule à ne pas y arriver ? Si, apparemment, les autres ne se plaignent pas. C’est donc la honte.

Vraiment Régis, tu aurais dû choisir quelqu’un d’autre, je suis nulle comme patiente cancéreuse.

Mais une fois que ces deux séances préparatoires sont passées, la radiothérapie s’installe dans une routine quotidienne.

Chaque soir, après le travail, je mets la musique à fond dans la voiture, et je vais faire ma séance de rayons.

L’installation, qui consiste à caler la position pour que les rayons tombent exactement aux endroits choisis, est plus longue que la séance elle-même.

Ensuite, il faut tenir une dizaine de minutes, allongée avec les bras en l’air sans bouger un sein. Jusqu’au bout, je reste minable dans cet exercice. J’ai des fourmis dans les bras (pas des petites fourmis ordinaires, des fourmis rouges géantes enragées). Et j’ai furieusement envie de me gratter partout pendant chacune de ces dix fichues minutes.

Pour tenir et ne plus y penser, je me concentre à fond sur des questions existentielles.

Les autocollants de schtroumpfs collés au plafond dans toutes les salles de radiothérapie m’occupent beaucoup. Qui est le quidam ou la dame qui a collectionné les autocollants de schtroumpfs dans des boîtes de Vache Qui Rit, puis a sorti une échelle et l’a déplacée de salle en salle pour les coller au plafond ? Pourquoi avoir fait tous ces efforts pour finalement les coller de travers, au risque de créer une anomalie dans la symétrie de mon hôpital ? Comment ai-je pu progresser au point de dire « mon » hôpital, m’appropriant ce lieu honni comme un endroit familier susceptible de faire partie de mon univers ? Est-ce vraiment possible de compter 10 fois soixante secondes sans perdre le fil du décompte (spoiler : non) ? Suis-je capable de me souvenir de mes tables de multiplication (spoiler : c’est non à partir de la table de 7) ?

Et si j’essayais la méditation ? Je ne sais pas trop comment on fait, voyons, il faut se centrer sur l’instant présent pour bloquer les pensées parasites … ah coucou le schtroumpf. C’est fini Madame, vous pouvez bouger. Ouf.

Trente trois fois 10 minutes à tenir, en se repliant dans des pensées volatiles, c’est faisable. Désolée, j’aurais pu en profiter pour réfléchir au sort du monde, c’est bien dommage mais je n’y ai pas pensé, je me suis fait schtroumpfer le cerveau.

Au final, la radiothérapie se passe bien. Les séances quotidiennes sont lassantes mais supportables.

Certains détails sont éprouvants. Tout dépend de l’hôpital qui vous accueille. Dans le mien, c’est assez violent : ils passent du Calogero et du Céline Dion pendant les séances. A chaque fois. Je me dis que les dernières métastases vont s’enfuir, dégoûtées, ce doit être inclus dans le traitement.

Evidemment, comme prévu, je fais mon intéressante. Au bout de quelques séances, j’ai la peau qui brûle, se fissure, et forme une plaie à vif et suintante sous le sein.

On me prescrit un pansement non adhésif pour poser sur la plaie. Le mode d’emploi fait douze pages, tout ça pour expliquer finalement qu’on peut le faire tenir en utilisant un adhésif. Quelle merveille : acheter un pansement non adhésif, puis acheter des adhésifs pour le faire tenir.

Dans mon cas, l’adhésif est proscrit sur la plaie à vif, donc je le pose sans rien, et sous l’implacable effet de la loi de la gravité, il tombe. J’y gagne un motif de satisfaction : cela signifie que je n’ai pas encore les seins qui tombent assez pour faire tenir le pansement.

Une infirmière propose une solution : on découpe un bandeau dans un slip en filet jetable pour maintenir le pansement, on le baptise « le système D de la culotte », et ça marche.

En radiothérapie, l’ambiance est bien meilleure qu’en chimiothérapie. Dans la salle d’attente, ça bavarde, ça rigole beaucoup. Peut-être est-ce lié au fait que je viens le soir, un moment où il y a moins de monde et où le relâchement de fin de journée se fait sentir.

Les femmes que je croise me racontent leurs histoires, toutes plus éprouvantes les unes que les autres, la plupart ont plusieurs maladies graves en même temps et elles restent joyeuses et fortes. Femmes je vous aime.

La salle d’attente est décorée avec des pancartes apaisantes, avec des mots écrits dans tous les sens. VIE, BONHEUR, CALME, ENERGIE, PARFUMS, NEZ.

Trente-trois séances à me demander ce que ce nez venait faire ici.

J’ai honte mais j’ai compris à la dernière séance, la trente troisième, que ce nez écrit verticalement se lisait de bas en haut, c’était donc ZEN, évidemment. Ce fût l’apogée de ma radiothérapie.

Je revois une dernière fois l’oncologue à la fin du parcours. Je suis fière de moi et fière de lui, on se congratule. En vrai, je ne le détestais pas ce Docteur Ramzy. Il a été parfait, doux, patient, et toujours joignable.

Je lui demande si on peut enlever la boîte, mais c’est trop tôt, on va attendre quelques mois, au moins un an ou deux.

Voilà, rien n’est vraiment dit, mais les blancs sont faciles à compléter, on garde la boîte au cas où …, les petits points susurrent le mot rechute.

Pour le moment, c’est tout de même bel et bien la fin du parcours hospitalier.

Regis, si tu m’entends de ta constellation très lointaine, aussi lointaine que possible, je peux le dire maintenant. JE T’AI EU.

Je n’ose pas encore le dire trop fort, alors je vais le redire tout bas, le souffler, le murmurer en creusant mes rides du sourire avec allégresse : je t’ai eu.

Moi, mon armée de chevaliers médecins et d’elfes infirmières, mon prince à l’épée-bistouri, ma dame du lac kiné, mon enchanteur et ses philtres chimiques, ma Lara Croft aux rayons X, nous t’avons bien eu. Enfin pour le moment. Enfin je crois.

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  1. Huhu, là j’ai eu plus de chance que toi, 27 séances, avec toujours les mêmes horaires (Tu connais l’histoire des VSL on reviendra pas dessus). Les scans de positionnement furent ma plaie, mais une fois lancé, pour moi c’était plus facile, une routine. Mon pack de glace dans le soutif et roulez jeunesse. Par contre l’après… Mandieu que j’ai morflé… la semaine après la dernière radio, mon sein, on aurait dit qu’il ressortait tout ce que j’avais vécu. Mon sein n’avait plus figure humaine (^^) Je viens à peine de le retrouver (un mois après) et il est encore rouge, et j’ai encore des tâches de brulure, qui finissent de guérir. Je te jure. Le prochaine qui dit que la radiothérapie c’est plus doux, il va s’en manger une ^^

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